E-éducation

Inclusion financière par le numérique pour un développement économique de la femme : Défis et perspectives

Par :

Sylvestre Ouédraogo
Directeur Régional Institut Panafricain pour le développement,
Afrique de l’Ouest et du Sahel
Président de yam-pukri.org et de Burkina-ntic.net

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent un grand potentiel en matière de transformation des économies des pays du Sud. La plupart des études montrent qu’un investissement dans les TIC a une incidence positive sur le produit national brut : Plus une nation investie dans les TIC, plus sa croissance va s’améliorer.

Grâce aux TIC, dans le domaine des finances, il est apparu un phénomène que l’on appelle généralement la FINTECH ou finance technologique. La finance technologique regroupe les moyens et dispositifs utilisés par le canal du numérique ou de la digitalisation pour améliorer les transferts financiers entre les agents économiques. La finance technologique accélère la dématérialisation des échanges et des flux financiers. La première étape est l’utilisation des portes monnaies électroniques ( ORANGE money, CORIS Money, MOOV MONNEY…)/.

Cela permet aux détenteurs de faire des transactions sans utiliser la monnaie fiduciaire ou scripturale, c’est-à-dire le papier ou les pièces de monnaie ou les chèques ou transferts bancaires. L’avantage du porte-monnaie électronique est que le/la detenteur-rice peut éviter des vols en détenant de la liquidité dans sa maison et l’opération est quasi instantanée. On évite également les problèmes habituels de manque de petite monnaie pour solder souvent les opérations.

Après les portes monnaies électroniques qui facilitent la vie de son détenteur, nous avons la possibilité d’avoir un compte bancaire virtuel. La détention du compte bancaire virtuel ou numérique grâce à sa facilité d’acquisition permet à son détenteur-rice de faire un pas dans le système bancaire formel et de pouvoir accéder à d’éventuels financements.

On peut donc dire que le troisième niveau de l’utilisation de la fintech est le fait de pouvoir accéder au crédit directement sans passer par des opérations classiques. Cela suppose que le détenteur fait exclusivement ses transactions avec son compte bancaire virtuel et que la banque a une grande confiance en l’agent économique du fait des nombreux mouvements qu’ils opèrent. La banque peut donc si elle est rassurée que son client va continuer à mouvementer son compte lui accorder facilement des avantages financiers assez rapidement, surtout en ce qui concerne les fonds de roulement que la plupart des acteurs du secteur informel ont des difficultés à pouvoir mobiliser.

Le quatrième niveau de la FINTECH est le fait de développer son activité autour de cet environnement dématérialisé et de devenir en quelque sorte une mini banque ou un concurrent sérieux de la banque. Imaginez que vous possédez dans votre porte-monnaie électronique ou dans votre compte bancaire virtuel 3 millions de Francs CFA. Vous êtes capables de faire des transferts à des tiers pour qu’ils fassent leurs propres opérations et ils vont vous rembourser avec un intérêt. Si cette activité se développe, vous devenez en quelque sorte un appendice de la banque. Il faut savoir que le pouvoir d’une vraie banque, c’est la capacité de créer la monnaie par le bais du crédit. Comme vous ne pouvez pas dépenser plus que le montant de votre porte-monnaie, vous ne dérangez pas trop la banque à moins que vous pratiquiez des taux usuraires.

De nos jours, le monde de la micro finance informelle commence à utiliser ce canal pour révolutionner les systèmes comme les tontines. Il est très courant de voir des groupes WhatsApp qui font des tontines grâce aux transferts avec les portes monnaies numériques. Certains font des tontines qui se terminent par l’achat de biens physiques comme des congélateurs et autres. D’autres se limitent juste à reverser en numérique le montant dû.

Le cinquième niveau de la FINTECH est la spéculation financière pur au vrai sens du mot parce que l’opération reste virtuelle est les biens virtuels. Nous avons actuellement la floraison des monnaies virtuelles comme les bitcoins ainsi que le développement des marchés financiers de type HFT. Les transactions à haute fréquence, ou trading haute fréquence (THF ou HFT, de l’anglais High-frequency trading).
Nous avons vu la fermeture au Burkina de ce type de marchés financiers, mais les personnes qui le désirent passent par l’Internet pour continuer de travailler.

Après avoir présenté quelques éléments de la FINTECH, nous pouvons nous intéresser à son impact sur la femme et surtout sur les possibilités et limites de la FINTECH en matière d’inclusion financière de la femme.

La situation de la femme rurale

Dans les pays du Sud, nous savons tous que la majeure partie de la population est rurale. Dans cette population à dominante rurale, la femme a de lourdes charges (travaux champêtres, garde et soins des enfants, activités génératrices de revenus…) et également elle est handicapée par l’analphabétisme, nous n’allons pas trop nous attarder sur cette question que tout le monde sait, mais, essayer de voir en quoi la FINTECH peut faire changer positivement la situation de la femme surtout rurale sur le plan financier.

La situation de vulnérabilité de la femme s’est aggravée ces dernières années avec les déplacements massifs de la population dont les femmes en sont les premières victimes.

L’inclusion financière et le faible taux de bancarisation dans la sous-région
L’inclusion peut se comprendre comme un mécanisme qui permet à toute personne désireuse de participer à une activité de pouvoir la faire dans de bonnes conditions. L’inclusion financière est donc le dispositif qui permet aux agents économiques de pouvoir participer et faire des transactions financières sans difficultés et sans interventions de tierces personnes ou acteurs dans des conditions avantageuses (prix étudiés, facilités et rapidités des opérations…).

Selon agence ecofin en fin de l’année 2017, le taux de personnes âgées de 15 ans et plus et possédant un compte dans une banque, à l’exclusion des microfinances et avoirs dans les porte-monnaie électroniques, était de 17 % de la population. Il est en très légère hausse comparé au 16,5 % de taux de bancarisation enregistré un an auparavant. (Rapport de la BCEAO).

Le taux de bancarisation au Burkina est de 21% environ et les taux d’utilisation des services de microfinance et global sont respectivement de 20% et de 41,29%.
Cette faible inclusion financière a suscité des réflexions au niveau de la sous-région et une stratégie régionale de l’inclusion financière (SRIF) a été adoptée depuis juin 2016 en Conseil des ministres de l’Union.

Cette stratégie comprend un ensemble d’activités comme la sensibilisation, de travail avec les associations de consommateurs, l’organisation de foires…

Pour Idrissa COMPAORE, Président du Comité national burkinabè de suivi de la mise en œuvre de l’inclusion financière, Idrissa Compaoré, l’inclusion financière est un système facilitant l’accès pour les individus et les entreprises, à toute une gamme de services financiers fournis à prix raisonnable et de façon responsable.

On peut donc se poser les questions suivantes ? la FINTECH permet-elle une inclusion financière de la femme ou que devons faire pour que la FINTECH intègre les femmes surtout rurales ?

Pour une véritable inclusion financière de la femme,

De manière globale, pour avoir une inclusion financière véritable chez les femmes, il faut agir sur la digitalisation, l’éducation financière et des dispositifs de fonds de garantie. La digitalisation regroupe l’ensemble des procédés que le système bancaire met en place pour faciliter le travail de leurs clients. L’éducation financière peut permettre aux agents économiques de limiter la thésaurisation et de placer leurs avoirs dans des banques formelles ou des systèmes de micro finance ou même de simples portes monnaies électroniques. Les dispositifs de fonds de garantie peuvent aider les femmes qui s’endettent pour des raisons financières de pouvoir éponger leurs retards de paiements ou en cas de faillite et de défaillances manifeste.

La forte présence ou possession de téléphones en zones rurales, le développement des réseaux téléphoniques et l’informatisation des opérations de portes monnaies électroniques facilitent grandement la digitalisation de la finance en zone rurale.
Nous constatons également que les ONG dans le cadre de leurs projet CASH Transfer ont commencé à utiliser les portes monnaies électroniques.

Nous sommes au premier stade de l’inclusion financière qui est la possession possible d’un porte-monnaie électronique. Même à ce niveau, l’analphabétisme peut être un frein sérieux dans la gestion du porte- monnaie électronique (maitrise du système USSD, mots de passes, transfert et autres). Nous aurons forcément de l’intermédiation à ce niveau grâce aux kiosques ORANGE et MOOV pour commencer. Le chemin est long si on envisage la possibilité d’accéder à du micro crédit dématérialisé pour entreprendre son activité. Pour avoir un porte monnaie électronique, il faut avoir une pièce d’identité qui est une denrée rare dans le monde rural. c’est une première contrainte pour entrer dans le monde financier.

La pratique des tontines virtuelles grâce aux réseaux sociaux viendront peut-être améliorer ces dispositifs. Un vaste terrain est ouvert pour les startups qui peuvent investir dans la FINTECH pour les femmes et les zones rurales grâce à la combinaison de systèmes vocaux et digitaux mais la concurrence sera rude avec les banques formelles et les opérateurs qui sont prompts à bloquer les initiatives locales.
Nous avons vu le cas au début de la mise en place de l’actionnariat populaire avec la société Coopérative Faso Tomates qui avait commencé à le faire et à qui l’UEMOA a sonné d’arrêter cette activité de mobilisation de l’épargne qui est dévolue aux banques. SOFATO est un produit de la Société coopérative avec conseil d’administration/Bâtir l’avenir (SCOOP-CA/BA).

Des startups comme BAYSEDO au Sénégal arrivent pourtant à mobiliser l’épargne via des plateformes électroniques pour financer des activités agricoles.
Il est grand temps que l’on commence à faire des concours d’innovations pour accélérer l’inclusion financière des femmes.

A propos de l’auteur

Dr Sylvestre OUEDRAOGO est le Directeur régional de l’Institut Panafricain pour le développement depuis novembre 2009. Il est également enseignant chercheur à l’Université Thomas Sankara, Unité de Formation et de Recherches en Sciences Economiques et Gestion (UFR/SEG). Sa spécialité est l’appropriation sociale et technique des nouvelles technologies de l’information et de la communication et la gestion des projets de développement.
Il est aussi Responsable Scientifique des formations en management des organisations et des associations à l’Institut de la Formation Ouverte à Distance (IFOAD) de l’Université Ouaga 2.
Il est plus connu avec son association Yam Pukri spécialisée dans les TIC et qui fonctionne depuis une vingtaine d’années.
Dr OUEDRAOGO a participé à plusieurs ouvrages collectifs dans le domaine des Technologies de l’information et de la communication. Il a publié en 2003 un livre aux éditions l’Harmattan sur le même thème. Il a été élu en 2010 par l’organisation internationale ASHOKA (ashoka.org) comme Entrepreneur social. En décembre 2014, il a été décoré Chevalier de l’Ordre du Mérite Burkinabè pour ses actions dans le domaine du développement du Burkina Faso.

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